J'ai l'impression d'être partie un bail. Le sable, les vagues, le vent. Le soleil. Le soleil...
J'étais bien dans mon corps. Sérieux. Légère. Le problème c'est qu'on sait jamais si...c'est dû à la légèreté du chiffre ou si c'est parce qu'on va réellement "mieux". Si c'est l'euphorie du manque de calories ou si c'est du plaisir franc. Si c'est encore une illusion ou si enfin on est dans le vrai.
Après des années de débâcle, on a le droit de douter. Sauf qu'à force de douter, à force de penser, de retourner le truc dans tous les sens toutes les nuits, on y retourne, ça coule de source. Parce qu'à forces de se monter le bourrichon, on n'y croit plus vraiment. Et le doute...ça ronge. Ça pourrit tout. Tout devient source de remise en question, on cherche le vrai du faux pour finalement ne plus rien savourer.
Mais si c'était l'anorexie qui me faisait planer, est ce que je devrais y sauter à pieds joint? Est-ce que je devrais encore y croire pour me casser la gueule sur le macadam? C'est une vraie salope celle-là.
Et moi je suis une vraie conne. Mais alors une conne dans le genre assez extraordinaire je dois dire. A chaque fois que j'y retourne....elle me baise. J'y crois dur comme fer, je crois vraiment que je vais la biaiser, mais non. Elle me revient direct en pleine gueule en fanfaronnant comme un farfadet de bas étage.
Alors pourquoi j'ai besoin d'elle? Pourquoi je la fais revenir sans cesse? C'est moi qui décide. Après onze années, ça, je le décide. Je la connais par coeur. Je la sens. Je sens son odeur putride en moi. Et pourtant...je sais que c'est moi qui la désire. Qui la désire tellement qu'elle me brûle. On sait tous que la passion détruit tout sur son passage. Je ne pourrai jamais divorcer d'avec elle. On ne peut pas être plus forte que l'anorexie. On peut juste...négocier. Faire des compromis. Et s'abaisser comme une merde. Comme une sous-merde qui a peur de crever. Alors on sauve sa petite peau. Lâchement. Petitement. Et on cohabite. En se taisant.
Ca m'arrache la gueule d'écrire ces conneries. Mais c'est vrai. C'est ce que je crois en tous les cas. Je ne crois plus en la guérison. Ou si peu que c'est écrasé et que je ne vois plus. Mais il paraît qu'on peut cohabiter. Qu'on peut...on peut faire comme si? Comme si elle n'était plus là? Comme si elle avait jamais pointé le bout de son nez? Putain d'hypocrisie à la con, j'ai horreur de ça. J'ai horreur de "faire comme si". Comme si, ça veut dire quoi? Abdiquer? Ça me ressemble pas. J'aime plus que tout les défis et guérir en était un. Peut être le plus grand. Mais voilà...on dirait bien qu'elle m'a tellement bouffée, qu'elle a mangé mon identité avec. Peut être même que je suis devenue "elle"? Peut être que j'ai perdu ma volonté sur le petit pèse-personne de la salle de bain? Combien de fois j'ai dit qu'on ne disait pas une "anorexique" mais une personne qui souffrait d'anorexie. Mais peut être qu'après un certain nombre d'années, les données changent. J'en sais que dalle. Pourtant jsuis pas mal placée. Mais c'est pas pour rien si même les médecins sont paumés. Si même eux ne savent pas grand chose de la garce. Elle est trop sournoise. Trop pute. Trop têtue. Trop déterminée. Trop tout. Tout et son contraire. Alors au bout du compte elle nous égare et on se mord la queue. Pour finalement baisser la garde et s'affamer en la laissant tout manger sur son passage. Et puis comme on sait qu'au fond...Au fond elle nous donne toute cette satisfaction malsaine, mais qui reste de la satisfaction, seul plaisir au milieu du néant, on la serre dans nos bras de mante religieuse à moitié décédée. En attendant. Quoi? Je me le demande encore.
Alors...je suis là, à me tâter les côtes dans la nuit. A savourer le froid pénétrant dans les os alors que tout le monde crève de chaud. Je jubile et tout s'éteint quand je me fous devant le miroir, elle me jette de la poudre dans les yeux et j'y vois plus rien, plus de côtes, plus d'épine dorsale, plus de hanches dressées comme deux petites hâches, plus rien. Pourquoi? Pourquoi je peux même pas "voir"? Pourquoi je peux même pas contempler ma destruction?Je vous dis, c'est une garce. Elle vous bute à coup de dysmorphophobie, ce qui vous oblige à continuer à vous buter toute seule comme une grande. C'est purement dégueulasse. Purement et simplement diabolique. On ne gagne pas contre le diable. J'abdique. Echec et mat. OK pour la cohabitation alors...je la hais.