"Euh...vous voulez vous allonger?
Oui mais bon ça fait un peu genre psychanalyse vous trouvez pas?
Je crois que vous en avez besoin"
Des fois je me demande pourquoi les choses qui doivent être spontanée et naturelles sont aussi difficiles à mettre en oeuvre. Dormir. Manger.
Ca fait longtemps que je n'ai pas écrit. D'abord parce qeu j'ai eu un commentaire qui m'a troublée. Ensuite parce que cette période était spéciale. Dans le sens où je crois que j'allais assez mal. Et que je me suis pris de grandes claques dans la gueule. Que j'ai compris pas mal de choses aussi. Qu'en même temps je voulais sauver mon ptit cul de cette situation inconfortable et malsaine, et qu'il fallait prendre certaines mesures afin de ne pas complètement me casser la gueule. Et retomber, là bas, lamentablement.
J'ai voulu y retourner. J'ai fait ma demande. "si dans 2 mois rien n'évolue, promettez moi de me garder une chambre, s'il vous plait". Seulement, au moment ou j'ai avoué mon état, où les larmes parasitaient chaque conversation, chaque appel de ma génitrice, au moment où je me faisais engueuler où que j'aille; à la pharmacie, chez le médecin, chez mes grands parents, chez mes parents, au boulot. Au moment où je pétais les plombs, seule, à explorer mes limites avec des restes entassés de cachets en tout genre (faudrait que je vide mes cachettes, mais c'est trop dur). Au moment où je mattais Trainspotting toute seule en chialant et en prenant simultanément mon pied. Au moment où ma tension chutait jusqu'au 7, au moment où les crampes déchirant mon estomac me rappellaient que j'étais encore vivante, au moment où on m'a dit que mes jambes faisaient pitié quand je suis montée sur mes talons de 12, au moment où on m'a dit que la maladie me rendait laide...
J'ai entendu: Putain mais pas le courage de retourner à l'hosto merde, pas le courage putain! Je te préviens je viens pas te voir. Et puis quoi, t'as qu'à bouffer tes yahourts merde, et arrête de pleurer t'as vu tes yeux! Et arrête de te maquiller comme ça, quand t'as mauvaise mine c'est vraiment moche. Bouffe au lieu de pleurer et de faire ta victime putain, c'est facile! C'est quand même pas compliqué, on te donne des trucs à bouffer tu les bouffes merde, à la fin plus personne voudra t'aider hein rien à foutre, si on te dit de faire des choses et que tu les fais pas franchement tu crois quoi, on va pas toujours dire oh ma pauvre petite nia nia nia, arrête de pleurer pourquoi tu pleures hein? Ben ouais tu sais même plus pourquoi!
Juste avant d'aller au travail, c'était bien. D'arriver avec des balles de ping pong à la place des yeux et des cernes jusqu'au menton, cool. Happy face honey!
J'aurais voulu hurler que s'il ne s'agissait que de bouffer des yahourts hypercaloriques 3 fois par jour il n'y aurait plus d'anorexiques sur la Terre, mais bien sur putain, c'est tellement facile, mais pourquoi n'y ai-je pas pensé maman? Jsuis tellement conne, c'est vrai, je devrais mettre des post-it partout : "les yahourts sont dans le frigo, prêts à être engloutis, penser à les manger".
Je lui en ai voulu, beaucoup. "Victime" m'a laceré les chairs. Pietiné les entrailles. Et je pleure maman, parce que je suis en train de perdre la partie, c'est tout. Que j'essaye. Et qu'il n'y pas de résultat. Je ne demande rien à personne. Ne demande pas qu'on s'apitoie sur moi. Tu devrais le savoir, puisque toi même te plains de mon manque de communication. Il me semble que je ne demande pas grand chose. Je passe toutes les fois où je suis rentrée des urgences seule, sans même que tu sois au courant de quoi que ce soit. Je ne parle jamais de moi, suis toujours de bonne humeur avec vous, ne me lamente jamais, putain, je ne demande jamais rien...Je fais ma vie dans mon coin, vais aux rdv, essaie de construire, j'ai un boulot, je bosse en cours, paie mes études. Tu m'as suppliée de t'appeller quand ça n'allait pas, je ne l'ai jamais fait. Et je ne veux tellement pas emmerder les autres avec mes états d'âme que je le paie, lourdement. Des fois j'aimerais pouvoir hurler, gueuler, plonger dans tes bras, me réfugier dans ton cou, te dire. Mais même ça, tu vois, je ne m'en donne pas le droit. Alors ton "victime". C'est un peu mal passé. Je l'ai vomi un peu plus tard dans la journée. Et vomi encore. Sauf que mon estomac était vide, haha.Et tu sais quoi, même pour le viol, je ne me prends pas pour une victime. Même pour ça.
Je ne lui en veux pas. Bien que ça m'aie vraiment blessée. Tout au fond je veux dire. Mais comme je ne parle pas, évidemment, comment pourraient-ils savoir que je me bats. Je lui ai dit que, par exemple, mes grands parents s'étaient barré pendant 15 jours, je n'ai pas perdu 1 gramme. J'aurais pu, je l'aurais volontiers fait, d'en profiter pour jeuner comme une connasse; mais j'ai preféré mettre en pratique les conseils de la psychiatre. J'ai même réintégré les protéines. J'ai peut être pas grossi, mais bordel, c'est une putain d'avancée. De cuisiner pour moi. De planifier des menus et de les respecter. Vous me direz, c'est pas grand chose....mais vous n'êtes pas dans ma tête. Et pour moi, c'est la guerre. Rien que de foutre une assiette à table m'emmerde. Mais je l'ai fait. Pourtant il n'y avait personne pour me pousser à le faire. Et les yahourts maman, les fameux yahourts. Dis toi que pour moi, c'est comme si, 3 fois par jour, je me disais, tiens, je vais me bouffer un petit pot de nutella, hmmm! Ou un bol d'huile, pareil! Qui en aurait envie? Alors peut être que non, je ne les mange pas, mais au moins, je me fais des repas équilibrés. Et perso, je trouve ça encore mieux. Plus sain encore. Bref, on en a rien à foutre. Je m'en fous de ton avis. Mais je veux pas que tu me gueules dessus parceque je me roule dans la maladie c'est faux.
Sinon, j'irai plus à mes rdv de psy, et j'aurais pas de vie. Là, j'ai des amis, un boulot, des études, des projets. La maladie n'est pas mon identité. Je me bats pour ça, tous les jours. Pour qu'elle ne prenne pas le dessus. Je te rappelle aussi, au passage que ce n'est pas un choix. Et que je ne suis pas anorexique mais borderline, et que j'y peux absolument rien. Il me semble aussi que j'ai fait d'énormes progrès sur la drogue. Sur le fait de manger en public. Sur le fait d'aller vers les autres. De faire ce que j'aime. Passe 2 ans non stop en foyer psychiatrique et essaie de rattrapper une vie "normale", tu verras que c'est pas si facile. Je crois que t'oublies ce qui t'arrange aussi.
Tout ça on s'en contrefout. Mais ça a débloqué pas mal de choses. Déja, on a pu discuter. Elle s'est excusée, moi aussi. Depuis, je viens dormir à la maison un peu plus souvent. J'arrive à me coucher tôt. Et je mange normalement. VRAIMENT normalement, comme eux quoi. De la viande, du riz, de la mayo, tout. Et je grossis même pas. J'ai plus à jouer, parce que les sourires c'est pour de vrai. C'est drôle. Je suis bien. Juste bien. Et je les aime, fort.