J'ai passé ma journée d'hier à pleurer sur mon sort. Après un entretien corsé avec Mme L., où il a fallu que je me mette à nu, j'ai lu quelques rapports me concernant et dont j'ignorais l'existence. J'ai décidé de coopérer, de collaborer pour me sortir de ce bordel. Alors je dis la vérité, mes craintes et mes doutes, les victoires et les échecs. Mes pensées aussi, même si elles sont pathologiques, tant pis. Il faut me sauver, il faut que je saisisse les mains tendues, que j'accepte l'aide. Que j'admette que seule il n'y aura pas de sortie possible à cet enfer que j'ai construit de mes propres mains.
On a préparé mon rdv du 18 juin à l'hôpital St Vincent de Paul. Je n'y crois plus, honnêtement, alors...j'essaie de me donner les moyens de guérir, mais le moteur est irrégulier. J'ai confié mes angoisses par rapport au fait de prendre les repas en communauté, en espérant une réponse qui me convienne, mais objectivement, je sais que les négociations sont malvenues. Si je prends l'habitude de manger seule, je doute que je puisse revenir en arrière et partager à nouveau les repas avec les autres. Alors à la question, « que voulez vous, vous libérer de cette souffrance et manger en individuel? », je n'ai pu que murmurer un « non ». Parce qu'il faut cesser de jouer et se rendre à l'évidence; je suis malade et je nécessite des soins. Pas qu'ils rentrent dans mon jeu.
Vers la fin, elle m'a tendu une poignée de documents. « Voilà les lettres et les comptes rendus des différentes évaluations, entretiens et constats médicaux. Vous sélectionnerez l'un d'eux pour que je puisse le joindre au dossier que je vais donner au médecin. Il y a sûrement certaines choses que vous voudrez garder pour vous... »
Sous son doigt, je vois des mots qui m'horrifient. J'ai beau lire et relire, je n'en reviens pas. Premier rapport venant de l'hôpital Fontan, brut et froid. « Vous vous doutez que l'on devait être au courant ». Non. J'ignorais ce secret partagé. Dire que pendant 2 mois je me suis foutue en l'air en pensant « il faut qu'ils le sachent », alors qu'ils en avaient connaissance. J'ai apprécié son tact et sa manière de me dire les choses. Mais bordel, mon coeur n'a fait qu'un bond, mes mains se sont mises à s'agiter dans le désordre, mes mots se sont emmêlés et j'ai désiré plus que jamais être six pieds sous Terre. J'ai senti cette putain de honte m'envahir, me polluer l'esprit, et le mutisme s'est installé pendant une bonne parie d'heures, tremblant de tous mes membres.
Chers confrères,
Vôtre patiente Mademoiselle E. S. a été hospitalisée au centre d'accueil et de crise du 23 au 28 mars pour prise en charge d'une recrudescence anxieuse dans le cadre d'un probable sevrage en alcool.
Il s'agit d'une jeune fille de 21 ans, célibataire, sans enfants et vivant seule actuellement. Elle est en contact avec ses deux parents, séparés depuis 20 ans. Elle a 4 ½ soeurs du côté maternel et 3 ½ frères du côté paternel. Elle est en bon contact avec ses grands-parents. Sur le plan de ses études, après un bac arts appliqués et un BTS, Mademoiselle S. a repris des études de psychologie et est actuellement en première année.
On ne note aucun antécédent médical ni chirurgical particulier.
Dans ses antécédents psychiatriques, on retrouve un suivi depuis 5 ans pour des troubles de conduite alimentaires à type d'anorexie/boulimie. On note par ailleurs, dans ses antécédents, 7 tentatives de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire et 4 hospitalisations à L'EPSM d'Armentières. Il existe également des conduites addictives à l'alcool et aux toxiques (ecstasy occasionnellement, cannabis et benzodiazépines)
Sur le plan familial, son père serait suivi depuis peu pour un trouble bipolaire.
A l'entrée dans le service, Mademoiselle S. présente une agitation et une instabilité anxieuse importante diminuant progressivement après l'instauration d'un traitement de sevrage. Il existe des troubles du sommeil majeurs, et des comportements auto-agressifs avec des scarifications sur les deux avants-bras. La patiente explique avoir augmenté progressivement sa consommation d'alcool la semaine précédente, essentiellement à visée anxyolitique.
Les différents entretiens avec la patiente, seule puis accompagnée de sa mère ne permettent pas d'identifier des événements récents à l'origine de cette recrudescence anxieuse. Mademoiselle S. évoque une enfance difficile, élevée par ses grands parents paternels jusqu'à ses 4 ans puis par sa mère, avec une difficulté à trouver sa place et un souci constant de plaire aux figures parentales. Elle rapporte par ailleurs un viol subi à l'âge de 15 ans et vis à vis du quel elle nourrit un sentiment de culpabilité important, l'ayant empêché, jusqu'à ce jour, de porter plainte. Il semble que la patiente se place actuellement dans un statut de coupable et non de victime.
L'hospitalisation a permis une mise à l'abri rapide de cette patiente. Il s'avère néanmoins que les idées noires et les angoisses persistent et mènent Mademoiselle S. à poursuivre les scarifications. Il nous apparaît donc nécessaire de poursuivre la prise en charge sur le secteur.
Mademoiselle S. est donc transférée sur l'EPSM d'Armentières le 28/03/2007 pour une poursuite des soins.
Je vous prie de croire, chers confrères à l'expression de mes sentiments dévoués.
S. Maillet, interne. / V. Boss, praticien hospitalier.
Professeur Michel Goudemand.
Je ne me souvenais pas avoir confié ma vie aux médecins. J'ignorais que je m'étais découverte à ce point et c'est non sans douleur que j'ai relu encore et encore ce putain de papier. Son contenu impersonnel, qui me traite comme une patiente et non une personne me fait mal parce que ce sont les tripes qui sont écrites là, dans ces lignes crues.
J'ai pleuré, prête à engloutir 4 bouteilles de théraléne ainsi que tous les cachets amassés au fil des permissions. J'ai posé délicatement mes lames sur mon bureau, méthodiquement, machinalement. A ma grande surprise, je n'ai usé d'aucun de ces échappatoires...J'ai pensé à la famille. Me suis traitée de lâche, de faible et d'égoïste. J'ai sauté le repas, me suis mise toute habillée en position foetale et attendu que ça passe, que les sanglots s'arrêtent et que les spasmes se fassent moins fréquents. J'ai fermé ma porte de chambre à clé, préparant froidement ma fin. J'ai fini par m'endormir, anesthésiée par l'hypoglycémie et le froid malgré la chaleur étouffante.
Je viens de rendre tous les médicaments que j'avais soigneusement entassés au fil des semaines. Persuadée que c'est une chose très raisonnable, je me mets à angoisser; je ne pourrai pas m'en servir « au cas où »...J'y ai pensé des millions de fois, de tout avaler d'un coup...
« Je vais venir avec vous vérifier si vous avez d'autres cachets. » « Surtout avec vous, ça peut être dangereux. ». « Vous vous êtes scarifiée? »
_Non.
Victoire...oui, si on veux. Mais j'ai toujours en tête cette sensation de bien être que j'éprouve après m'être lacérée les bras. Ça me hante, c'est très étrange. Au lieu d'éprouver la satisfaction d'avoir résisté voilà que je suis presque déçue.