Un point. Insignifiant.
Au loin.
Vue brouillée. Trop blancs ces murs. Ces lumières trop agressives. Rendez moi mon obscurité. Mon silence. Ecartez moi de ces cris. Déchirez ces liens.
Je vous en prie.
Ecoutez moi, croyez moi.
Je suis peut être trop humaine. Ou non. Je ne sais plus. Ne veux plus savoir.
Ne veux plus l'écouter lui, ce corps. Je veux qu'il se taise à jamais, qu'il se consumme, qu'il s'éteigne, peu importe, qu'il aille au diable. Je veux le voir crever, lui et toutes ses failles, ses douleurs futiles et ses appels à l'aide de lâche. Je me fous de ses désirs, et d'ailleurs, depuis quand se prend-il au sérieux? A-t-il seulement demander l'autorisation de s'exprimer? Le droit d'exister? Si seulement il s'était défendu. Mais non.
Il y a moi. Et puis l'autre. Deux Moi. Un corps. Pauvre de lui. Où je suis? On m'emmène, m'enferme, telle une folle aux pays des merveilles, comme l'autre, les couleurs en moins. La folie douce dans mes veines. Les pilules colorées dans le gosier, de force. Et puis je ressors, l'urgence passée. Sans rien dire à personne. Je signe cette maudite décharge, toujours. Et la liberté s'offre à moi, de nouveau. Liberté chérie. Celle qui me fait si peur. Celle qui me balance dans le vide.
Je ne sais pas pourquoi je caresse les enfers avec autant de ferveur vous savez. Je ne sais pas. On me dit que je suis en colère. Mais je n'en veux à personne. Il parait pourtant que je devrais. Pourquoi? Non, je n'en veux à personne. Personne ne mérite de porter ma croix. Surtout pas eux.
"Ils m'aiment vous savez"
_Vous ne cessez de vous auto-rassurer. Comme vous le faîtes pour moi, mais moi je n'ai pas besoin que vous me rassuriez.
Et si je ne le faisais pas, hein? Et si j'envoyais l'optimisme se faire foutre, je me tire une balle? Connasse. Comme si j'avais le choix. En colère. Oui, exactement. Contre moi. Moi seule. Et ils m'aiment. Je le sais...Ils m'aiment, ils m'aiment, ils m'aiment, ils m'aiment?... Je... Putain mais vous m'emmerdez avec vos questions à la con!
Seule. Seule dans la foule. Seule parmi ceux que j'aime. Seule dans mon lit, seule dans le métro, seule dans la nuit, seule dans les abîmes. Pourquoi tant de personnes dans ma tête? Qu'elles foutent le camp, elles m'épuisent...Elles me fatiguent, me sucent l'énergie..."Mon Dieu comme vous êtes pâle"...Insufflez-moi la vie et dîtes leur de me laisser tranquille...s'il vous plaît...Faîtes les taire! Morcelée entre toutes. Je ne sais plus qui est qui, je de duppes. Elles sont toutes là, à mener leur vie, s'écrasant les unes et les autres, en moi. En m'écrasant, moi. Moi qui part en croisade pour la pureté. Muhahaha. Quelle blague quand j'y pense.
Comment l'anorexie pourrait elle laver tous mes pêchés? De chair, d'abus en tous genres. Belle illusion chérie. Et de surcroît, vous allez rire, j'ai bien cru que j'allais être plus forte qu'elle. Oui oui. Comme si. J'ai cru que j'allais la berner!
Alors, j'ai fait comme si je ne voyais pas. J'ai perdu, perdu, perdu...j'ai dansé, encore et encore, virevolté, légère, aérienne...c'était si bon cette nouvelle energie, cette nouvelle force...
Je n'ai plus écouté personne. Personne. Surtout pas les mises en garde! Ben non, après tout, je connais bien le problème, mes limites, et tout ce qui s'ensuit non? Haha. L'anorexie, elle vous baise en grand. Elle finit toujours par vous rattrapper. Toujours. Là, tapie dans l'ombre.
Et un matin, je n'ai pas pu me lever. Bouger le pouce. Mal. Partout. J'ai pleuré. Parce que je savais que c'était la fin. La fin de l'euphorie insouciante. Que maintenant, c'était les problèmes. Les vrais. Se taire, surtout. Se taire. Echapper à tous ces tests qui mettent les bras en charpie et qui donnent largement raison aux médecins. Et ça, il n'en n'est pas question. D'autres priorités que l'hopital.
De beaux projets. Une exposition à Lille, avec d'autres artistes. Un stage professionnel. Une embauche prochaine.
Et même si ça se fait avec le nez plein de coke, la gorge piquée par la méthadone, les yeux rougis par le cannabis, les doigts tremblants par manque d'alcool, les tripes appellant au viol, l'estomac hurlant à la famine, les jambes flageollantes, la pâleur de l'anémie, les cernes creusés, même.
Je le ferai. Parce que c'est ce que je veux. Je veux créer. Vivre de ce que j'aime faire le plus au monde. Et je pourrai enfin dire que j'ai réussi à faire quelque chose de bien. Le reste... ça n'est que le reste.
"Comment allez vous mademoiselle S.?
_Bien. Je vais bien."
Mon Dieu vos mots en mon absence. Je ne voulais pas venir écrire en noir. Je ne voulais pas. J'avais peur. J'avais peur d'ouvrir les yeux et de me dire...d'accepter la verité. Je ne voulais pas venir ici et vous décevoir. Je ne voulais pas lire tous ces mots d'encouragements, de soutien et de tendresse...et tout gâcher, encore.
Je ne lâche pas la rampe, soyez en sûrs. Je ne suis pas vaincue. Juste "malade". Il paraît que vers 30 ans...les borderline s'apaisent. Je le veux. Et je rêve d'arriver jusque là, surtout.
Merci. Merci, merci merci à vous. Ne me lâchez pas, s'il vous plaît.